Tout projet contient une vision : ce que l’on vise, ce que l’on cherche à bâtir. Elle est parfois claire dès le début, et parfois elle vient plus tard. Elle peut être formulée précisément ou rester vague. Et ensuite il y a les méthodes que l’on emploie pour atteindre l’objectif, et c’est exactement la même chose dans le cas de l’Europe.
Nous verrons la vision et les méthodes plus bas, mais pour le moment la question est : pourquoi est-ce important de différencier méthodes et vision ?
En premier lieu parce que cela va aider chacun à définir ce qu’il soutient ou non dans le Projet Européen, plutôt que d’en parler comme d’un tout.
Ensuite, parce que les difficultés liées à des méthodes inefficaces doivent être adressées de manière bien différente des difficultés liées à une vision en laquelle on ne croit pas, en plus d’avoir des conséquences tout autres.
Pour rappeler à tous que les méthodes dans n’importe quel projet doivent être améliorées et perfectionnées : essayer, échouer et essayer encore jusqu’à trouver ce qui marche fait partie du processus, quel que soit le projet. Et l’on n’abandonne pas la vision simplement parce que les méthodes employées ne marchent pas.
Enfin, parce qu’il convient de se souvenir qu’il est difficile de juger une vision comme étant bonne ou mauvaise : on y croit ou pas (même si je suppose que l’on pourrait désigner comme mauvaises les visions basées sur la peur, la haine et d’autres émotions négatives : elles cherchent souvent à blesser ou contrôler les autres et son environnement). D’un autre côté, les méthodes peuvent (et doivent) être jugées en fonction du but qu’elles ont été créées pour servir : si elles ne nous en rapprochent pas alors elles sont mauvaises. Si elles nous en rapprochent, elles peuvent être plus ou moins efficaces et nécessiter des améliorations.
La vision derrière le Projet Européen
Si tout projet contient une vision, quelle est donc celle derrière le Projet Européen ?
Honnêtement, je n’en ai aucune idée, et un tour sur le site web de l’Union Européenne n’aide pas vraiment : on apprend juste que la vision initiale consistait à maintenir la paix et que la méthode employée était d’accroitre la coopération économique (grâce à la CEE). Cela se tient et c’est plutôt un beau succès, mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Et nous y voilà : le premier problème derrière l’UE et les autres accords Européens ! Pourquoi existent-ils ? Où nous emmènent-ils ? Il y a ici un gros travail à faire en termes de leadership (choisir une vision) et de communication, car je doute fortement que quiconque sache où nous allons…
Chers lecteurs, n’hésitez pas à écrire dans les commentaires ce que vous croyez être la vision derrière l’UE et les autres institutions. Je pense que nous pourrons déjà voir à quel point différentes personnes regardent dans différentes directions, ce qui explique en partie les désaccords sur les méthodes utilisées pour faire avancer le Projet Européen.
En ce qui me concerne, je crois fermement en l’idée des États-Unis d’Europe, bien que je ne puisse dire si nous avançons dans cette direction. Il s’agit simplement de ce que je vois et soutiens derrière les différents accords et institutions Européens (dont l’UE), et voici quelques raisons expliquant mon opinion :
Parvenir à construire les États-Unis d’Europe prouverait une fois pour toutes que les relations internationales peuvent atteindre un tout autre niveau de maturité, comparé à la situation actuelle s’apparentant à un jardin d’enfants où des individus égocentriques tentent sans arrêt de s’écraser mutuellement (voir le Dilemme du Prisonnier pour mieux comprendre l’état actuel des relations internationales), ou encore nécessitent un tiers pour résoudre leurs désaccords. À la place, nous assisterions à une nouvelle réalité fondée sur une coopération véritable, où chacun donne pour que chacun reçoive (ce que l’on appelle « gagnant-gagnant », un sujet qui a été débattu depuis des dizaines d’années dans le domaine des affaires et reconnu comme nécessaire et efficace, mais qui pourtant semble toujours relever de l’idéal en politique).
Les États-Unis d’Europe représenteraient une source d’inspiration pour le reste du monde, et notamment pour les régions touchées par des conflits ou de fortes tensions : cela démontrerait que ce n’est pas une fatalité, que si une région avec autant de diversité et autant de conflits que l’Europe parvient à coopérer et à laisser derrière elle les vieilles rancunes, alors cela peut arriver partout.
Cela représenterait la victoire des similarités entre les gens sur leurs différences, le succès d’un projet basé sur des émotions et attitudes positives (amour, empathie, compassion, respect…).
Cela permettrait des actions efficaces dans le domaine de la protection environnementale puisque ces difficultés, de par leur nature (liées à la planète), requièrent un niveau de coopération extrêmement élevé : un niveau dont nous sommes loin à l’heure actuelle. (À noter que je ne dis pas que cela résoudrait tout : en ce qui concerne l’environnement, il s’agit avant tout de modifier profondément notre perception de nous-mêmes et du monde qui nous entoure. Toutefois les États-Unis d’Europe aideraient, sans aucun doute.)
Cela semble l’évolution logique de la société humaine : nous sommes passés de tribus à villages, puis de villages à régions, et enfin de régions à pays. Pourquoi les pays seraient-ils l’unité finale ?
Cela assurerait enfin une paix durable dans une région gangrenée par des siècles de guerre.
Cela signifierait un marché intérieur plus grand, avec plus d’opportunités d’affaires pour les entreprises locales ainsi qu’une plus grande attractivité à l’international, permettant une plus grande prospérité économique.
Les méthodes du Projet Européen
Nous avons vu la vision (ou plutôt son absence) derrière le Projet Européen. Voyons maintenant les méthodes employées pour avancer. Je fais ici référence à tous les accords et institutions qui ont été créés/signés au fil des années dans le but de faire progresser le Projet Européen : Union Européenne, Zone Euro, Espace Schengen, Parlement Européen, etc.
Car il ne s’agit effectivement ni plus ni moins que de méthodes créées pour atteindre un but. Et nous avons vu que les méthodes doivent être jugées en fonction de la vision qu’elles ont été implémentées pour servir. Cela dit puisque la vision n’est pas claire, il devient délicat de juger les méthodes : en effet, qui peut dire ce qui marche ou non, ce qui doit être modifié (et comment) ou abandonné si l’on ne sait pas quel but ces méthodes doivent permettre d’atteindre ?
Ne mettons-nous alors pas déjà là en lumière une nouvelle perspective sur le débat « pour/contre l’UE » qui fait rage ? Sur des discussions autour d’une méthode sans savoir clairement pourquoi elle est là ?
Maintenant si nous partons du principe que nous nous dirigeons vers les États-Unis d’Europe, alors il y a plusieurs réussites, parmi lesquelles :
L’Union Européenne, en cela qu’elle a rassemblé de vieux ennemis de la 2nd Guerre Mondiale (Pologne, Allemagne, France…). Ce type de coopération d’après-guerre est loin d’être un standard partout, comme je l’ai découvert en Corée. Et n’est-ce pas là une source d’inspiration ? Un exemple non-seulement de paix, mais également de souvenir et pourtant de pardon pour avancer ?
L’Espace Schengen, de par sa faculté à rendre possibles les études, le travail et la vie où on le souhaite, en plus d’ouvrir de magnifiques opportunités pour les échanges culturels et l’apprentissage des langues, et enfin de rapprocher la race humaine d’une réalité physique que beaucoup semblent (consciemment ou non) avoir oubliée : nous vivons sur une seule et même planète et ne pas pouvoir aller où on le souhaite est une aberration.
Les aides financières européennes accordées à divers projets (de la rénovation de bâtiments historiques à la recherche), en cela qu’elles montrent comment la coopération internationale est bénéfique pour tous.
Le marché unique, de par sa faculté à rendre les pays de l’UE plus attractifs à l’international en plus de simplifier l’export comme stratégie d’expansion (désormais une option même pour les PME).
La plupart des accords et institutions jusqu’à aujourd’hui, du fait qu’ils ont mené à des années de paix ininterrompue (plus de 70 ans pour certains pays).
Toutefois les choses sont loin d’être parfaites et il reste beaucoup à modifier, voire à repenser depuis le début. Je ne rentrerai pas dans les détails ici car beaucoup ont déjà listé les limitations des méthodes actuelles, mais voyons deux exemples :
L’Espace Schengen n’est clairement pas au point s’il s’effondre aussitôt que le contexte change. Un exemple au hasard : gérer un flot massif de réfugiés.
Les relations entre pays-membres ressemblent encore beaucoup à un jardin d’enfant, avec des attitudes qui oscillent entre « protéger les intérêts nationaux » au détriment d’une vision plus large (en gros tirer la couverture à soi en toute circonstance) et travailler à atteindre cette vision.
Conclusion sur la situation actuelle
Peu de gens semblent aujourd’hui faire la différence entre vision et méthodes lors des discussions autour du Projet Européen, et le manque de clarté de la vision officielle n’arrange certainement pas les choses : nous regardons dans des directions différentes et avons donc des attentes différentes concernant les accords signés. Cette confusion mène à des débats et des opinions qui mélangent des buts divergents ainsi que des arguments en faveur/contre des éléments liés à une vision et des éléments liés à des méthodes.
J’ai ainsi vu par exemple des listes d’arguments contre l’UE qui mettent côte-à-côte le fait qu’elle a plus de pouvoir que les pays-membres (touche à la vision : qu’essaye-t-on de bâtir ?) et le fait que les processus décisionnels ne sont pas assez démocratiques (touche clairement aux méthodes, à la manière dont les choses sont faites). Mais nous parlons ici de deux choses totalement différentes : changer une vision n’a rien de commun avec ajuster une méthode de travail ! Et si l’on ajoute le fait qu’une institution supranationale n’est un problème que si cela ne correspond pas à ce que l’on veut accomplir (dans l’optique des États-Unis d’Europe dont je parlais, c’est par exemple non seulement acceptable, mais souhaitable), on comprend sans mal comment tout est mélangé dans l’esprit de chacun.
En ce qui me concerne, je vois une vision qui vaut le coup d’être atteinte (pour toutes les raisons exposées plus haut), avec un potentiel énorme pour l’Europe et le monde, et qui présente plusieurs réussites mais aussi des manques évidents. Cela me conduit à être d’accord avec la plupart des arguments contre l’UE (car ils attaquent des méthodes qui, je pense, doivent être revues), tout en la défendant vivement (son potentiel) !